Une révolution durable

Notre époque est le théâtre d’un bouleversement majeur. Les cocos d’autrefois en rêvaient à peine… C’était l’idéal du contre-consumérisme : enrayer les machines à fric, pousser les logiques lucratives jusque dans leurs retranchements, redéfinir les équilibres macro-socio-économiques.

Dans les années 90, le rêve est devenu réalité grâce à un outil inventé par…les Américains ! La révolution a finalement eu lieu. Elle est l’ouvrage de cette armée de l’ombre, sans bannière ni porte-parole, une armée internationale, aussi puissante qu’impossible à évaluer, les pirates du nouveau monde : ce sont les geeks, les analystes-programmeurs, les hackers. Ce sont des résistants, des forces vives, tapies à l’ombre, des idéologues à leur manière –oui : des combattants.

Qu’ont-ils fait au juste ? Ils ont explosé le bunker de la propriété intellectuelle. Désormais, la musique, les films et les romans seront gratuits. Les journaux se lisent sur Internet. Les geeks ont fait de l’information un bien commun, sans monopole, sans carte de presse, gratuit, accessible à tous, finis les journalistes et la censure, finis le contrôle et l’orientation –l’information circule grand train sur Internet, relayée par tous. Bien sûr, cette alternative présente d’autres dangers (n’importe qui peut se décréter compétent sur n’importe quoi), mais ce sont de nouvelles formes de danger… C’est bien connu : une révolution ne résout pas les problèmes, elle chasse les anciens et en crée de nouveaux.

Les geeks ont facilité les communications. Les boîtes mail, Skype, les forums, les blogs, les réseaux sociaux… On communique sans payer, et donc : autant qu’on veut. Ce changement est colossal. L’humanité s’unifie autour d’un outil qui permet, sans limite et gratuitement, à tous les individus de communiquer sans cesse.

Les geeks ont également créé la concurrence pure et parfaite : le plus vieux rêve de la modélisation économique. Sur Internet, on compare instantanément les prix, on a accès à l’ensemble des réseaux de distribution, on trouve la même marchandise à mille endroits, c’est l’efficience qui prime, la qualité.

Aucun tabou n’existe encore. Dans la presse, il y a des sujets qu’on n’aborde pas. Sur Internet, on les aborde tous ! Du plus loufoque au plus sérieux ! Le débat est ininterrompu. On avance parce qu’on partage, sans peur de dire ce que l’on pense, on écoute les autres, et les universitaires sont en relation permanentes avec l’ensemble de leurs pairs.

Vous voulez créer un site ? Vous n’entendez rien au langage XHTML ? Très bien ! Les geeks mettent à votre disposition des CMS gratuits, conçus par eux, dont le fonctionnement est intuitif, ils vous permettent de créer votre page en une demi-journée.

Et puis il y a la bibliothèque universelle, les logiciels de cartographie, les forums médicaux, les sites de rencontre, les casinos en ligne, les espaces de dialogue autour d’une même problématique (vous avez une question, vous l’écrivez sur un forum, et vous aurez gratuitement les conseils de dizaines de personnes qui ont déjà eu le même problème) et bien sûr…les encyclopédies participatives !

Internet, c’est la liberté totale, la gratuité, le partage, la diffusion… Le rêve des idéologues les plus fous depuis la nuit des temps. Mille nouveaux problèmes sont nés, il y a une déontologie à réinventer, un espace-temps colossal qu’il faudra légiférer, une société à réorganiser… Mais la révolution est en marche, et personne ne l’arrêtera plus. Faites confiance aux geeks. Ce sont les rois du nouveau monde. Ils se moquent de l’argent. Ils croient en l’homme, en l’humain, leurs valeurs sont celles des Lumières, ils croient en la connaissance et en la liberté d’expression. Et, chose étonnante pour une armée si forte et si emprunte d’idéologie, ils n’ont pas d’armes. C’est la première fois dans l’Histoire qu’un groupe social puissant ne prévoit pas d’assassiner.

par Guillaume Sire link